Et si les citoyens s’emparaient du contrôle de légalité et budgétaire ?
Le contrôle de légalité et le contrôle budgétaire des actes des collectivités territoriales (et de leurs groupements) permettent de garantir l’application uniforme de la règle de droit sur le territoire.
Le contrôle de légalité, exercé par le préfet, vise à vérifier la conformité des actes avec les dispositions législatives et réglementaires en vigueur.
Le contrôle budgétaire, exercé par le préfet en liaison avec les chambres régionales des comptes, a pour objet de s’assurer du respect par les collectivités des règles applicables à l’élaboration, l’adoption et l’exécution de leurs budgets.
Dans son rapport annuel, rendu public le 10 février 2016, la Cour des comptes pousse un véritable cri d’alarme et dénonce le « caractère peu opérant » de ces contrôles.
« Des catégories entières d’actes ne sont pas contrôlées »
Les magistrats relèvent que « le contrôle de légalité porte sur un volume restreint d’actes des collectivités (24 % des actes reçus en moyenne au plan national entre 2011 et 2014). Des catégories entières d’actes ne sont pas contrôlées, faute de temps, d’expertise suffisante des agents ou de procédure de transmission efficace entre les sous-préfectures et les préfectures. »
Ce piètre constat s’accompagne d’exemples assez éloquents : « Ainsi, dans le département du Nord, le contrôle des actes d’intercommunalité et d’affaires générales n’a pas été réalisé en 2014 ; dans le Calvados, les actes des collectivités de l’arrondissement de Lisieux n’étaient, pour la plupart, pas reçus en préfecture et les actes de la commande publique ne faisaient pas l’objet d’un contrôle effectif. »
Des contrôles aux « suites particulièrement limitées »
La Cour constate que « le contrôle de l’ensemble des actes relevant des priorités nationales était mis en œuvre par moins de la moitié des préfectures de l’échantillon examiné par la Cour. […] Parfois, certains domaines prioritaires sont totalement exclus de la stratégie de la préfecture. »
Pire, « la supervision des contrôles effectués, globalement inexistante, ne permet pas, par ailleurs, d’avoir une assurance raisonnable de leur qualité. La même observation peut être faite pour le contrôle budgétaire. »
Surtout, « force est de constater que les suites données au contrôle de légalité sont, quant à elles, particulièrement limitées : entre 2011 et 2014, 2,9 % en moyenne des actes contrôlés (soit 0,7 % des actes reçus) ont donné lieu à une lettre d’observation valant recours gracieux et 0,1 % des actes contrôlés ont donné lieu à un déféré préfectoral au juge administratif. »
« La sincérité des documents budgétaires n’est guère contrôlée »
Les magistrats révèlent que « la sincérité des documents budgétaires n’est guère contrôlée, que les contrôles soient conduits de façon allégée ou approfondie. »
Les exemples donnés laissent songeurs : « En Saône-et-Loire, où le contrôle budgétaire était assuré par un seul agent, le nombre de collectivités prioritaires, dont le contrôle approfondi était effectué dans le délai de saisine de la chambre régionale des comptes, ne s’élevait qu’à cinq en 2014. Or l’analyse des résultats des contrôles réalisés hors délais indique que 49 budgets avaient été identifiés comme votés en déséquilibre en 2012, 43 en 2013 et 34 en 2014. »
Un pouvoir d’appréciation trop large
Les magistrats établissent une corrélation évidente entre diminution des contrôles et baisse des effectifs (le nombre d’agents affectés à ces missions a diminué d’un tiers, entre 2009 et 2014 !).
Ils lèvent également un lièvre : « Le corps préfectoral dispose d’un large pouvoir d’appréciation sur les suites à donner au contrôle de légalité, comme l’a jugé le Conseil d’État. La Cour a pu constater que cette faculté était largement utilisée dans les préfectures de l’échantillon étudié […]. Le contrôle de légalité est ainsi soumis à de larges marges d’appréciation qui, poussées trop loin, peuvent contribuer à en affaiblir l’efficacité. »
Selon la Cour, les préfets abusent parfois de ce pouvoir d’appréciation : « Cette marge d’appréciation prévaut également en matière de contrôle budgétaire alors même que le préfet ne dispose pas, en ce domaine, d’une telle latitude puisque, selon le code général des collectivités territoriales, il lui incombe de saisir la chambre régionale des comptes dès qu’il dispose des éléments faisant apparaître un déséquilibre du budget exécuté ou une absence d’équilibre réel du budget voté. »
Anticor propose que les citoyens puissent suppléer l’État
Anticor s’alarme de la situation très grave décrite par la Cour des comptes puisqu’elle porte atteinte au principe d’indivisibilité de la République. Le conseil constitutionnel a d’ailleurs eu l’occasion de rappeler, le 25 février 1982, que « si la loi peut fixer les conditions de la libre administration des collectivités territoriales, c’est sous la réserve qu’elle soit subordonnée à la condition que le contrôle administratif […] permette d’assurer le respect des lois et, plus généralement, la sauvegarde des intérêts nationaux ».
Force est de constater que la faiblesse de ces contrôles de légalité et budgétaire explique une grande partie des dérives constatées au niveau local.
Si l’État ne parvient pas à assurer cette mission fondamentale, il doit au moins donner la possibilité aux citoyens de le suppléer. Pour cela, il lui suffit de supprimer une condition très stricte de recevabilité – la justification d’un intérêt à agir – afin de permettre à tout à chacun de contester la légalité des actes des collectivités territoriales devant les juridictions administratives. De même, il faudrait accorder la faculté à tout contribuable de saisir la chambre régionale des comptes.