Secret des affaires : le législateur n’est pas tenu à une transposition servile
Le Sénat va prochainement examiner la proposition de loi sur le « secret des affaires ». Le texte est lourd de menaces pour la liberté d’expression. Pourtant, rien n’impose à la France de faire une transposition servile de la directive.
Le 18 avril, le Sénat examinera la proposition de loi sur le « secret des affaires », en procédure accélérée. Le texte est lourd de menaces pour la liberté d’expression. Dans ce texte, la liberté d’expression n’est plus au sommet de la hiérarchie des valeurs. S’il est adopté, le secret sera la règle et la liberté d’expression l’exception. La notion de « secret des affaires » est y très étendue. Le texte protège toute information, « dès lors qu’elle a une valeur commerciale, effective ou potentielle, parce qu’elle est secrète ».
Le secret des affaires menace particulièrement les journalistes et les lanceurs d’alerte. S’ils sont poursuivis pour violation du secret des affaires, ils devront démontrer au juge qu’ils ont agi dans l’intérêt général. S’ils perdent leur procès, ils devront réparer intégralement le préjudice causé à un acteur économique. Certes, la loi prévoit que la personne poursuivante pourra, si sa demande est rejetée, être condamnée au paiement de 20 % des sommes demandées. Mais la dissuasion est faible pour des acteurs qui ont les moyens et la volonté de faire obstacle à la diffusion d’informations.
Au final, rien n’impose à la France de faire une transposition servile de la directive. Rien ne lui impose de renoncer pour cela à un haut degré d’exigence pour les libertés fondamentales. Une protection aussi étendue n’est pas nécessaire pour protéger des secrets ayant valeur commerciale directe pour leurs détenteurs, sur le marché concurrentiel. Le champ d’application de la loi pourrait ainsi être pertinemment limité. De même le secret des affaires ne devrait pas interdire la divulgation d’informations sur l’impact environnemental d’une activité, sur relations entretenues avec les sous-traitants et les filiales, ou encore sur l’optimisation fiscale. Et c’est plutôt l’acteur économique qui se prétend lésé qui devrait démontrer que l’information a été divulguée dans un but lucratif. C’est le droit commun : la charge de la preuve incombe au demandeur. L’enjeu est d’importance.
La question n’est pas de savoir s’il est pertinent de mieux lutter contre l’espionnage économique et de préserver les intérêts économiques et commerciaux des entreprises européennes. Elle est de savoir si, pour atteindre cet objectif, il est nécessaire de trahir le principe de la liberté d’expression, inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme qui proclame : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. »