Inviolabilité parlementaire, justice inégalitaire
Le 12 juillet 2016, Le bureau de l’Assemblée a rejeté mercredi, à l’unanimité, la demande de levée d’immunité parlementaire du député (DVG) de Haute-Corse Paul Giacobbi dans un dossier de détournements de fonds publics. Au-delà d’une décision dont d’autres parlementaires ont bénéficié, la question se pose du maintien d’un privilège, qui porte atteinte à l’égalité des citoyens devant la loi.
L’alinéa 2 de l’article 26 de la Constitution dispose : « Aucun membre du Parlement ne peut faire l’objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu’avec l’autorisation du bureau de l’assemblée dont il fait partie. Cette autorisation n’est pas requise en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive ».
L’immunité parlementaire assure un régime juridique dérogatoire aux parlementaires dans leur rapport à la justice afin de préserver leur indépendance. Mais cet alinéa introduit un déséquilibre entre la nécessaire protection du débat parlementaire et le principe d’égalité des citoyens devant la loi.
L’irresponsabilité, immunité absolue, soustrait les parlementaires à toute poursuite pour les actes liés à l’exercice de leur mandat. Elle est établie par la Constitution dont l’article 26, dans son premier alinéa, qui dispose « qu’aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ». Elle ne saurait être remise en cause.
L’inviolabilité réglemente les conditions dans lesquelles l’action pénale peut être exercée pour les actes détachables de la fonction parlementaire. Les bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat se prononcent sur le caractère sérieux, loyal et sincère de la demande dont ils sont saisis par la justice. Mais ils se prononcent secrètement, par une décision non motivée.
La Cour européenne des droits de l’Homme s’est prononcée sur l’étendue de l’inviolabilité. Elle a jugé, dans deux arrêts Cordova contre Italie, du 30 janvier 2003, que « lorsqu’un Etat reconnaît une immunité aux membres de son Parlement, la protection des droits fondamentaux peut s’en trouver affectée. (…) Il serait contraire au but et à l’objet de la Convention que les Etats contractants, en adoptant l’un ou l’autre des systèmes normalement utilisés pour assurer une immunité aux membres du Parlement, soient ainsi exonérés de toute responsabilité au regard de la Convention dans le domaine d’activité concerné.(…) De l’avis de la Cour, l’absence d’un lien évident avec une activité parlementaire appelle une interprétation étroite de la notion de proportionnalité entre le but visé et les moyens employés ».
Plus encore, le droit comparé contribue à remettre en question la pertinence de la conception traditionnelle des immunités parlementaires. Seule l’irresponsabilité pour les actes commis dans l’exercice des fonctions apparaît comme un véritable corollaire du mandat représentatif : en soustrayant l’exercice des fonctions parlementaires à l’appréciation d’un pouvoir concurrent, elle protège le libre exercice du mandat.
En revanche, la quasi absence d’inviolabilité en droit anglais et américain illustre la capacité du régime représentatif à fonctionner de manière satisfaisante, tout en soumettant au droit commun les infractions détachables de l’exercice des fonctions parlementaires. Parce que le caractère représentatif du mandat permet à l’assemblée de fonctionner régulièrement, même en présence d’une Chambre incomplète, il ne saurait fonder l’existence d’une inviolabilité dont la vocation première est de garantir la présence, effective ou moins potentielle, des parlementaires en séance .
La pétition « Pour une nouvelle abolition des privilèges », lancée par Anticor, demande que l’inviolabilité dont bénéficient les parlementaires (qui leur permet de ne pas être poursuivis pour des actes étrangers à l’exercice de leurs fonctions) soit supprimée.