Lois rétablissant la confiance dans l’action publique : Anticor écrit au Garde des Sceaux
Monsieur le Garde des Sceaux,
Lors de notre entretien, le 22 mai 2017, vous avez émis le souhait qu’Anticor vous transmette ses observations sur les projets de loi « rétablissant la confiance dans l’action publique ».
Les textes ayant été présentés en Conseil des Ministres, le 14 juin 2017, notre association a été en mesure d’en prendre connaissance. Je vous prie de trouver ci-dessous nos commentaires.
La réforme envisagée répond à plusieurs demandes récurrentes d’Anticor. Le projet de loi ordinaire impose ainsi le contrôle de l’utilisation de l’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) et l’interdiction de l’embauche par un élu ou un membre du Gouvernement d’un membre de sa famille. Le projet de loi organique supprime la réserve parlementaire. Et nous prenons bonne note qu’un futur projet de loi constitutionnel instaurera la limitation du cumul des mandats et des fonctions dans le temps, la suppression de la Cour de Justice de la République et la suppression du droit accordé aux anciens Présidents de la République de siéger à vie au Conseil constitutionnel. Nous sommes évidemment satisfaits de ces avancées.
Nous regrettons néanmoins la disparition de deux engagements forts pris par Emmanuel Macron. En premier lieu, l’interdiction aux personnes dont le casier judiciaire comporte une condamnation pour atteinte à la probité de se présenter à une élection n’est plus prévue. Pourquoi renoncer à la loi « visant à instaurer une obligation de casier judiciaire vierge pour les candidats à une élection », adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale, le 1er février 2017 ? La peine d’inéligibilité ne répond pas à cette préoccupation : outre qu’elle restera à la discrétion des juges, elle ne s’appliquera qu’aux infractions commises postérieurement à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. Surtout, elle ne constitue pas une condition d’aptitude comparable à celle qui s’applique déjà à plus de 400 professions. En second lieu, l’encadrement strict des pratiques de lobbying n’est plus évoqué. Il nous apparaît pourtant essentiel de compléter le registre des lobbyistes par une connaissance précise des conditions dans lesquelles un texte a été élaboré, notamment des personnes qui ont été rencontrées, des consultations menées ou des contributions reçues. Cette traçabilité améliorerait la compréhension que peuvent avoir les citoyens des raisons pour lesquelles un dispositif a été choisi plutôt qu’un autre. Il serait également souhaitable d’accompagner un tel contrôle par l’interdiction de toute remise de cadeaux aux élus.
De même, nous déplorons la suppression d’une mesure annoncée lors de votre conférence de presse, le 1er juin 2017. Ainsi, la certification des comptes des partis politiques par la Cour des comptes ne figure pas dans le texte de loi au motif que le Conseil d’État estime « qu’à la différence de l’activité de contrôle des comptes des administrations publiques, qui constitue une prérogative de puissance publique, l’activité de certification des comptes des administrations autres que l’État constitue une activité marchande, qui doit respecter les règles de la commande publique et de la libre prestation de services ». Anticor souligne que les partis politiques sont destinataire de fonds publics et que l’article 133-3 du code des juridictions financières précise que « la Cour des comptes peut contrôler les organismes qui bénéficient du concours financier de l’État ». Le cas échéant, l’article 47-2 de la Constitution pourrait être modifié pour faire incontestablement entrer la certification des partis politiques dans le champ de compétences de la Cour des comptes.
Nous estimons également que de bonnes lois ne sont rien sans une justice indépendante, dotée des moyens nécessaire pour agir avec efficacité. Cela impose, au minimum, la suppression de tout lien hiérarchique entre le ministre de la Justice et les procureurs. Cela conduit aussi la suppression du « verrou de Bercy » qui donne à l’exécutif le monopole des poursuites en matière de fraude fiscale. Cette atteinte à la séparation des pouvoirs a notamment posé problème lors de l’affaire Cahuzac ou lorsque Éric Woerth cumulait les fonctions de ministre du Budget et de trésorier du parti au pouvoir. De même, nous considérons comme indispensable la suppression de l’inviolabilité dont bénéficient le Président de la République et les parlementaires (qui les empêche de faire l’objet de mesures privatives ou restrictives de liberté pendant la durée de leur mandat, pour des actes étrangers à l’exercice de leurs fonctions). En outre, le délai butoir de douze ans, à compter de la commission des faits, au-delà duquel il n’est plus possible de poursuivre les infractions occultes ou dissimulées fait aussi obstacle à l’action de la justice. Cette « prime à l’opacité » doit être remise en cause.
Enfin, nous souhaitons rappeler des propositions de notre plaidoyer qui pourraient utilement enrichir les textes pour véritablement rétablir la confiance dans l’action publique :
- supprimer les moyens exorbitants actuellement accordés aux anciens présidents de la République (et, dans une moindre mesure, aux anciens Premiers ministres) ;
- favoriser le dépaysement judiciaire des affaires politiques ;
- renforcer le contrôle de légalité par la création d’un parquet près les tribunaux administratifs ;
- créer un portail national unique de l’emploi public territorial, pour renforcer la transparence des recrutements des agents publics locaux ;
- donner à la Cour de discipline budgétaire et financière le pouvoir de sanctionner les membres du Gouvernement et les élus locaux ;
- sanctionner les poursuites-bâillon (plaintes dilatoires payées avec l’argent public) déposées contre les lanceurs d’alerte ;
- permettre l’affectation des biens confisqués à des activités d’intérêt général (afin de rendre tangible les fruits de la lutte contre la corruption et la fraude fiscale) ;
- systématiser la publication en données ouvertes (open data) des informations et documents détenus par les autorités publiques.
Vous remerciant de l’intérêt que vous porterez à ces réflexions, nous vous prions de recevoir, Monsieur le Garde des Sceaux, l’expression de notre haute considération.
Jean-Christophe Picard
Président d’Anticor