Loi Pacte : Anticor écrit aux députés pour qu’ils renoncent à privatiser ADP
Une Commission spéciale est en train d’examiner le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises (dite « loi Pacte »). Anticor a écrit à tous les députés de cette commission afin qu’ils reviennent sur la privatisation envisagée du groupe ADP (Aéroports de Paris).
Une Commission spéciale est en train d’examiner le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises (loi Pacte).
Anticor qui milite pour un bon usage de l’argent public a écrit, le 6 mars 2019, à tous les députés de cette commission afin qu’ils reviennent sur la privatisation envisagée, notamment celle du groupe ADP (Aéroports de Paris).
À l’attention des députés de la Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi Pacte :
Mesdames et Messieurs les députés,
L’association de lutte contre la corruption Anticor, dont le siège social est sis 37-39 Avenue Ledru Rollin, CS 11237, 75570 Paris Cedex 12, a pour objet de mener des actions en vue de réhabiliter la démocratie représentative, de promouvoir l’éthique en politique et de lutter contre la corruption, la fraude fiscale ou toute autre atteinte à la probité tant sur le plan local, national et international.
Elle milite pour un usage régulier des deniers publics.
Vous avez été nommé au sein de la Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (loi Pacte) qui prévoit la concession d’actifs de l’État que sont les participations détenues dans le capital des Aéroports de Paris, dans le capital d’Engie et dans le capital de la Française des jeux.
Ce texte, au-delà de la problématique constitutionnelle liée à la privatisation du service public national que représente ADP, pose des questions cruciales quant à son opportunité économique et politique.
Il s’agit de la plus importante privatisation jamais envisagée en France.
Selon Médiapart, au mois de septembre dernier, Madame Aigline de Ginestous, devenue depuis lors cheffe de cabinet d’Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances, se félicitait du désintérêt du législateur sur ce projet de loi en ces termes « Heureusement, il y avait l’affaire Benalla. On craignait que la procédure d’indemnisation que nous avons prévue pour la privatisation d’ADP soulève des oppositions. En fait, les députés ont à peine regardé. Tout est passé sans problème. »
Il est regrettable que la fonction d’élu de la nation, chargé de défendre l’intérêt général, soit réduite à une chambre d’enregistrement à laquelle on tente de soustraire des enjeux d’envergure nationale.
Ce projet de loi, en ce qu’il autorise la privatisation d’ADP, pose pourtant de nombreux problèmes et il appartient au législateur d’y répondre en mettant en exergue, conformément à son mandat, l’intérêt général.
Or, l’intérêt général s’exprime tant via l’intérêt économique de l’État à percevoir des recettes importantes issues d’un monopole public extrêmement rentable, que via l’intérêt politique à conserver un contrôle suffisant sur une structure qui gère 80 % du trafic aérien français et par voie de conséquence, les entrées sur le territoire français.
La problématique économique
L’aéroport de Roissy est classé comme le dixième aéroport mondial pour son trafic passager. Mais si l’on additionne les seuls trafics passagers d’Orly et de Roissy, ADP devient la première société aéroportuaire du monde.
ADP, ce ne sont pas seulement les terminaux d’aéroports (Le Bourget, Orly Sud et Ouest, Charles-de-Gaulle 1 et 2), ce sont 6 680 hectares de bâtiments, terrains, tarmacs, infrastructures – l’équivalent des deux tiers du territoire de la Ville de Paris – au cœur des plus importants intérêts stratégiques de la France.Les trois entreprises qui doivent aujourd’hui être privatisées rapportent 800 millions d’euros par an à l’État.
ADP, en particulier, s’enorgueillit d’une croissance annuelle de 10 à 30 % de son chiffre d’affaires et d’une marge nette de 14 %, générant pour l’État 175 millions d’euros de dividendes annuels, en constante progression.
Alors que l’État a déjà cédé les autoroutes à des sociétés privées, la cession de cette infrastructure stratégique se fera au détriment des contribuables français.En effet, après la vente, ce revenu sera perdu pour l’État français et il faudra donc le compenser. Les recettes d’ADP, perçues de passagers étrangers ou bien français qui ont les moyens de prendre l’avion, ou de compagnies qui utilisent le fret, deviendront les profits de l’acheteur et seront remplacées par des impôts perçus sur l’ensemble des contribuables français, dont la majorité ne prend jamais l’avion.
Cette concession est autorisée pour 70 ans, ce qui constitue une durée exceptionnelle dans l’histoire des concessions en France.
En outre, un mécanisme d’indemnisation immédiate est prévu au titre de l’expropriation future de ces structures, selon un seul critère, très discutable : les flux de trésorerie disponibles actualisés.
Ainsi, le gain immédiat de la vente d’ADP pour les contribuables n’est pas garanti. Au prétexte que la privatisation ne durera que soixante-dix ans avant une renationalisation, laquelle constituerait alors une privation de propriété nécessitant une « juste et préalable indemnité » (article 17 de la Déclaration de 1789), un milliard d’euros, en avance de l’éventuelle renationalisation de 2089, sera versé à ADP, dès 2019.
Or, quel intérêt pour les Français, d’une part, de perdre des recettes certaines et en constante augmentation et, d’autre part, de payer des indemnités aux actionnaires actuels pour privatiser, pratique sans précèdent dans une opération de privatisation ?
La problématique politique
ADP gère aujourd’hui 105 millions de voyageurs. Il s’agit de la première frontière de la France avec l’étranger, un enjeu vital et quotidien de sécurité nationale.
En 2005, le législateur a refusé la privatisation d’ADP en prenant acte que cette société est chargée d’une mission de service publique national au sens de l’alinéa 9 du préambule de la constitution de 1946 aux termes duquel « Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ».
Or, le projet de loi Pacte ne prévoit ni maintien d’une présence publique ou des collectivités territoriales, ni séparation pour éviter une situation de rente excessive.
Il est prévu de tout céder d’un bloc à un seul exploitant pendant 70 ans. Le Sénat s’est d’ailleurs massivement opposé à cette perte manifeste de souveraineté qui va conduire l’État à devoir négocier avec une entreprise privée son intervention dans le cadre de missions régaliennes.
L’association s’interroge donc sur l’intérêt de passer d’un monopole public très rentable et fonctionnant parfaitement à un monopole privé beaucoup moins rentable et sur lequel l’État va perdre le contrôle, notamment de l’actionnariat.
Lors des débats parlementaires, le Ministre des finances, Monsieur Bruno Le Maire, a expliqué sa position en indiquant que les 300 millions obtenus de la vente seraient placés à un taux de rendement intéressant de 2,5 %…
Mesdames et Messieurs les députés, il n’est pas nécessaire de faire de savants calculs pour conclure que la concession d’ADP serait une opération économique manifestement désastreuse pour l’État et un scandale à venir pour celles et ceux qui l’auront permise, comme l’a été en son temps la cession de nos réseaux d’autoroutes.
L’association Anticor sollicite donc que ce texte soit réexaminé à l’aune de l’intérêt général qui doit toujours primer sur les intérêts privés.
Je vous prie de croire, Mesdames et Messieurs les députés, à l’expression de ma respectueuse considération.
Jean-Christophe Picard
Président d’Anticor
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