Cabinets de conseil : la transparence à l’ombre du secret des affaires.
1. 28 contrats ont été signés entre mars 2020 et janvier 2021 pour un total de 11,353 millions d’euros avec sept cabinets de conseil dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée au covid-19.
Ainsi, le mercredi 6 janvier 2021, la Direction générale de la Santé (DGS) annonçait avoir fait appel à 4 sociétés privées de conseil dans le cadre de la stratégie vaccinale nationale, dont le géant américain McKinsey.
Le cabinet de conseil accompagne le gouvernement et intervient sur de nombreux dossiers sensibles, comme ici dans le cadre de la crise sanitaire. Or, les contrats émis dans le cadre de conseils stratégiques de santé sont des documents administratifs auxquels les citoyens ont le droit d’accéder.
2. Le 11 février 2021, Anticor a transmis au ministère de la Santé et des solidarités une demande de communication des documents relatifs aux marchés publics et aux délibérations à l’origine des contrats entre la DGS et McKinsey, de 2018 à aujourd’hui.
Les demandes d’accès aux documents administratifs peuvent être faites par tout citoyen, c’est un droit en France institué par une loi de 1978. Anticor demandait l’accès aux documents administratifs suivants :
• Les documents relatifs aux modalités de calcul du montant de l’accord-cadre et à sa durée prévisionnelle ;
• L’ensemble des documents portant sur les modalités d’exécution de l’accord-cadre déterminées par le pouvoir adjudicateur ;
• L’ensemble des marchés subséquents et/ou bons de commande passés entre le pouvoir adjudicateur et l’attributaire depuis 2018 ;
• L’ensemble des rapports produits par le cabinet McKinsey pour le compte de la DGS depuis 2018, à l’occasion de ce marché public et ayant donné lieu à un droit de tirage via l’accord-cadre interministériel ;
• Le marché public passé entre la DGS et le cabinet McKinsey portant sur la mission « d’assistance à la conception et à la mise en œuvre opérationnelle de projets de transformation de l’action publique » ;
• Les rapports et documents produits par le cabinet McKinsey pour le compte de la DGS dans le cadre de la mission « d’assistance à la conception et à la mise en œuvre opérationnelle de projets de transformation de l’action publique ».
Crise ou pas, il est important que les citoyens contrôlent l’action de leurs responsables politiques. Cela permet notamment de lancer des débats stratégiques sur le recours à des entreprises privées plutôt qu’à l’administration française.
3. Le 17 mars 2021, en l’absence de réponse du Ministère et conformément au code des relations entre le public et l’administration (CRPA), Anticor a saisi la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA). En effet, ces documents sont soumis au droit d’accès du CRPA. Sur le fondement de l’article L300-1 du CRPA, Anticor exerce son rôle de vigie citoyenne et demande la transparence sur tous les contrats passés, leurs montants et la durée des prestations.
4. Le 10 juin 2021, la CADA a répondu à Anticor :
- une fois signés, les marchés publics et les documents qui s’y rapportent sont des documents administratifs soumis au droit d’accès ;
- cependant, les autorités doivent examiner si les documents communicables portent atteinte au secret des affaires ;
- ainsi, les informations sur les offres retenues et celles qui n’ont pas été retenues sont communicables sous réserve de nombreuses occultations.
En premier lieu, le recours aux accords-cadre, volontairement large et fourre-tout est contestable. Ces contrats sont officiellement justifiés par une nécessité de fluidité de la commande publique, car ils s’adaptent aux besoins et permettent de s’exonérer des procédures longues et contraignantes pour les acheteurs publics-mais de ce fait, la puissance publique est captive de la société et la mise en concurrence est plus restreinte
En deuxième lieu Il est particulièrement intéressant de s’intéresser aux détails de cet accord-cadre et notamment aux modalités d’exécution de l’accord-cadre ( montants minimums et maximums des droits de tirage :
– prix/jour maximum; plafonnement éventuel des tirages sur une période donnée;
– critères d’attribution des marchés subséquents; le respect des règles de l’accord-cadre dans l’exécution des marchés subséquents;
et au contenu des marchés subséquents.
Par exemple : « Accompagnement à la préparation de la vaccination COVID-19″ avec un bon de commande à presque 4 millions d’euros. Nous avons demandé le rapport d’analyse de l’offre du marché subséquent pour voir si l’on peut obtenir une motivation de la décision de tirage. En effet la somme de 4 millions d’euros lui paraissait disproportionnée et ce type de montant pour un tirage est sans précédent.
Les accords-cadres permettent de mettre en place des appels d’offres dits « fermés » où les candidats potentiels ont déjà été pré sélectionnés. Une mise en concurrence intervient ensuite de manière plus souple pour savoir qui sera le bénéficiaire du bon de commande.
Pour chaque marché subséquent (Appui de la DGS pour la finalisation du projet Campus Santé, Accompagnement à la préparation de la vaccination COVID-19,Etude stratégique relative au SI Vaccination, Accompagnement DGS/EFS pour le plan de transformation de l’EFS, Optimisation du fonctionnement des comités de protection des personnes (CPP), nous devrions savoir quel est le contenu du cahier des charges, qui a répondu au marchés et à quel prix, pourquoi avoir dépensé autant . Mais cette information relève du secret des affaires.
En troisième lieu, la correspondance de l’objet de l’accord cadre « assistance à la conception et à la mise en œuvre opérationnelle de projets de transformation de l’action publique » avec les tirages pour la stratégie vaccinale ne sont pas évidents. Tout se passe comme si dans la pratique l’urgence permettait aux acheteurs publics de piocher dans les accords-cadres disposant encore de crédits sans trop se soucier de l’objet initial de l’accord cadre.
7. En mars 2022, un rapport du Sénat révèle que l’intervention des cabinets de conseil durant la crise sanitaire n’est que la face émergée de l’iceberg. Le phénomène est tentaculaire et pose problème au regard de la souveraineté de l’Etat, de la bonne utilisation des deniers publics et aussi du pantouflage dans ces cabinets de hauts-fonctionnaires.
Actualisation : le 24 novembre 2022, le parquet national financier fait connaître que des enquêtes pénales sont en cours.