Les marchés de conseil : de mauvaises pratiques institutionnalisées.
Sans prix plafonds, sans montants maximum, sans mise en concurrence des bons de commande, les accords-cadres deviennent une source de dépense totalement incontrôlée, même si elle respecte les formes du code de la commande publique.
L’affaire des cabinets de conseil, au-delà des aspects fiscaux liés à l’absence de paiement d’impôts en France, intéresse la France depuis quelques semaines tant elle interroge sur la gestion des deniers publics. Anticor sollicite depuis février 2021 auprès de la Direction Interministérielle de la Transformation Publique (DITP) des éléments pour comprendre le fonctionnement de l’accord cadre interministériel sur la crise sanitaire bien avant les révélations du Sénat. Anticor a saisi la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA) pour les obtenir. À ce jour, l’association n’a eu qu’un accès très restreint à une partie très expurgée des documents, malgré l’obligation légale pour l’administration de communiquer ces pièces, expurgées le cas échéant uniquement des informations relevant du « secret des affaires ».
Le type de marché employé pour toutes les interventions des cabinets de conseil est « l’accord-cadre » avec bons de commandes. Ces marchés peuvent être utiles. Avec des accords-cadres, bien maîtrisés, une mairie peut, par exemple, remettre rapidement en concurrence des imprimeurs sélectionnés en amont (les « titulaires » de « l’accord-cadre ») : avec des prix plafonds, un imprimeur pourra être sélectionné, sans avoir à passer un nouveau marché, car tout est déjà prédéfini en amont. Et chaque nouveau besoin s’exprime dans un bon de commande ou dans les sous marchés (marchés subséquents). Bien maîtrisés, ce type de marchés, bien qu’ils limitent l’accès à la commande publique aux seuls titulaires de l’accord-cadre pendant la durée de celui-ci, peut donc être utile.
Mal maîtrisés, sans prix plafonds, sans montant maximum, sans mise en concurrence des bons de commande, ces accords-cadres deviennent une source de dépense incontrôlée, même si le code de la commande publique l’autorise. Les missions de conseils révélées par la presse et par l’enquête sénatoriale, entrent dans ce schéma de dépense incontrôlée.
Car les marchés de conseil ne mettent que rarement en concurrence les entreprises qui ont remporté l’accord-cadre pour les sous marchés même si leur montant peut être élevé. Dans ce cas, pour chaque prestation :
- Trois candidats parmi ceux qui ont remporté l’accord-cadre sont retenus sur la base de critères techniques et de capacité pour des missions de conseils pour l’État.
- Tous les bons de commande ensuite doivent être émis, à tour de rôle au bénéfice de chacun des trois, donc sans mise en concurrence, et sans négociation.
- Cela signifie que les prestataires fixent leurs prix sans être mis en concurrence, ce qui est catastrophique.
Au mépris de toutes les bonnes pratiques : l’État demande une prestation à chaque prestataire à son tour, le prestataire fait une offre que l’État doit accepter, quel que soit son montant, sans négocier, et sans un minimum de concurrence. Cela ouvre la porte à tous les abus. Et le prestataire peut exécuter, de manière plus ou moins suivie, le marché au prix qu’il a fixé…
Cela va à l’encontre de tous les principes de bonne gestion des deniers publics qui ont présidé à l’élaboration du Code des marchés publics, aujourd’hui renommé Code de la commande publique. Si l’on impose à l’État et aux collectivités de mettre des entreprises en concurrence, c’est bien parce que si l’on assure une entreprise qu’elle sera titulaire d’un marché public, sans concurrent possible, elle fixe généralement des prix plus élevés que ceux du marché, auxquels elle n’est pas confrontée. Et ce sont les contribuables qui payent.
Un tel mécanisme favorise l’engagement de sommes faramineuses, sans contrôle conséquent sur les prestations réalisées.
Une qualification pénale ne saurait être exclue, dès lors qu’il serait établi que des cadres de ces cabinets de conseil ont donné des conseils gratuits à certaines périodes, et des conseils payants à d’autres périodes, ou encore auraient bénéficié de postes dans l’administration au sein de laquelle ils auraient eu à connaître de leur ancien employeur. Par ailleurs, le détournement de fonds publics par négligence est une infraction prévue et sanctionnée par le code pénal, notamment en cas d’abus.
Anticor demande une totale transparence sur les accords-cadres passés par la DITP, sur les bons de commandes émis et les méthodes de contrôle des prestations. L’association a effectué, de nouveau, le 5 avril 2022, une demande d’accès aux documents administratifs détenus par cette administration publique.