Anticor est le cœur battant de la lutte anticorruption
Nous, avocats d’Anticor, engagés judiciairement dans la lutte anticorruption, appelons tous les citoyens attachés à la démocratie et à l’égalité de tous devant la loi, à soutenir Anticor contre la décision discrétionnaire de non-renouvellement de son agrément, qui neutralise sa capacité à agir en justice. L’agrément anti-corruption est une nécessité démocratique et une exigence pour l’éthique publique.
Anticor a conquis durement son droit d’agir en justice. Il nous en a fallu des batailles judiciaires pour nous imposer dans l’espace confiné et réservé de la salle d’audience. «Mais qui êtes-vous ?» s’insurgeaient les avocats des puissants qui n’avaient pas hésité à nous baptiser du sobriquet de «Coucou judiciaire». «Sortez d’ici !» pérorait le procureur de la République lorsque nous avions déposé plainte dans l’affaire dite «des sondages de l’Elysée», ce qui nous avait contraint à aller jusque devant la Cour de cassation juste pour obtenir le droit de déposer plainte.
Cette marge d’action, nous l’avons arrachée à l’accord tacite qui existait entre les puissants que nous poursuivions et le parquet sous la tutelle hiérarchique du pouvoir exécutif qui les protégeait. Car le lien de subordination entre le parquet et le ministre de la Justice, permet, en effet, au nom du pouvoir d’opportunité des poursuites d’éviter de poursuivre les amis du pouvoir.
En 2013, après l’affaire Cahuzac, la loi autorisait Anticor à agir en justice dans les affaires affectant les questions de probité mais sous une réserve importante : l’obtention d’un agrément délivré par le gouvernement. Nous savions que cet «agrément» poserait un jour problème, car il est assez baroque de confier à l’exécutif le pouvoir d’accorder ou de refuser la possibilité d’agir contre lui. Mais lorsqu’une porte s’ouvre, c’est rarement à tout vent. Le pouvoir voulait s’assurer de contrôler les associations susceptibles d’agir en justice dans un domaine hautement inflammable pour la République : la corruption. Seules trois associations disposaient de cet agrément : Sherpa, Transparency International France et Anticor.
Il est évident que la loi doit évoluer et qu’il serait judicieux au nom du principe de séparation des pouvoirs de confier la délivrance de l’agrément à une autorité indépendante qui pourrait être le Défenseur des droits ou la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Depuis le début du mandat d’Emmanuel Macron, Anticor a déposé plainte contre des personnalités de premier plan de son entourage : Alexandre Benalla, Alexis Kohler, Elisabeth Borne, dans le dossier relatif à la concession des autoroutes… La décision de ne pas renouveler l’agrément d’Anticor est donc bien évidemment politique, et le gouvernement veut faire payer à l’association son audace judiciaire.
A la suite du refus implicite de la ministre des Affaires étrangères en charge du dossier, Anticor ne pourra plus agir en justice. Sherpa avait déjà perdu cet agrément en 2019, après plusieurs affaires majeures, comme Lafarge en Syrie, d’autres affaires s’en sont trouvées gelées. Le ministère de la Justice est revenu sur sa décision neuf mois plus tard, après un recours de Sherpa devant le juge administratif. Les 161 procédures en cours d’Anticor peuvent-elles souffrir d’une «pause» de plusieurs mois, le temps que le juge administratif statue sur la décision de refus implicite ?
Cette cabale a commencé par une rédaction (volontairement ?) maladroite du précédent agrément qui a conduit à son annulation. Elle ne doit pas laisser les citoyens, ignorants des enjeux sous-jacents qui se trament. Rappelons tout de même, que sans Anticor, il n’y aurait pas eu de contradiction au procès Chirac, car le ministère public avait requis la relaxe. Sans Anticor, il n’y aurait pas eu de dossier des sondages de l’Elysée, car le ministère public avait requis l’immunité des services de l’Elysée ; sans Anticor, pas de plainte dans l’affaire Alsthom ni dans celle des concessions autoroutières ni dans de nombreuses affaires locales.
Anticor a donc fait progresser le droit en s’emparant du sujet de l’égalité devant la loi, qu’Henri Lacordaire rappelait ainsi : «Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit.»
Anticor, qui a conquis son droit à agir grâce à la ténacité de son combat judiciaire, peut être perçu comme le symptôme de contre-pouvoirs défaillants, mais il est surtout le révélateur de la pénétration de la société civile dans le débat judiciaire et de son besoin d’égalité devant la loi, signe de l’émancipation démocratique. Anticor, en s’appuyant sur un pouvoir judiciaire moins soumis à l’exécutif, signifie aussi au pouvoir politique qu’il ne saurait être à l’abri ni du juge ni de la place que le citoyen a décidé de prendre dans le débat public.
Interdire à Anticor d’agir, c’est autoriser des formes de corruption que l’impunité des dirigeants systématise progressivement. C’est laisser notre démocratie défaillir. C’est pourquoi ce non-renouvellement s’ajoute, selon nous, à la liste croissante des symptômes de la crise démocratique actuelle. Il arrive que les enjeux propres à la salle d’audience nous concernent toutes et tous. C’est le cas ici.
Signataires :
Jérôme Karsenti Avocat au barreau de Paris
David Rajjou Avocat au barreau de Brest
Carole Biot-Stuart Avocate au barreau de Nice
Jean-Baptiste Soufron Avocat au barreau de Paris
Philippe Chaudon Avocat au barreau de Marseille
Vincent Brengarth Avocat au barreau de Paris
Claire Josserand-Schmidt Avocate au barreau de Paris
Jacques-Louis Colombani Avocat au barreau de Dunkerque
Tewfik Bouzenoune Avocat au barreau de Paris
Alain David Pothet Avocat au barreau de Draguignan
Sébastien Mabile Avocat au barreau de Paris
Etienne Tête Avocat au barreau de Lyon
Cécile Brandely Avocate au barreau de Toulouse
Alexandre Luc-Walton Avocat au barreau de Paris
Olivier Mazzoli Avocat au barreau de Nouméa
Christophe Leguevaques Avocat au barreau de Paris
Laure Abramovitch Avocate au barreau de Dijon
Julien Marty Avocat au barreau de Nice
David Koubbi Avocat au barreau de Paris
Frédéric Volpato Avocat au barreau des Hautes-Alpes
Sabrina Hassaini Avocate au barreau de Paris
Julien Kahn Avocat au barreau de Paris
Laurent Maynard Avocat au barreau des Pyrénées-Orientales
Arnaud Tribillac Avocat au barreau des Pyrénées-Orientales
Nino Arnaud Avocat au barreau de Marseille
Yann Gasnier Avocat au barreau de Paris
François de Cambiaire Avocat au barreau de Paris
Alexandre Luc-Walton Avocat au barreau de Paris
Moad Nefati Avocat au barreau de Paris.