Diffamation
Comment éviter la diffamation sur internet
Comme nous, vous tenez peut-être un blog qui constate par exemple les dérives d’un de vos élus locaux au niveau éthique. Comment en parler, pour ne pas rester complice en se taisant, sans risquer un plainte en diffamation, à partir des éléments que vous pouvez rendre publics ou pas. Cette fiche, rédigée par la présidente d’Anticor, qui est également juriste, Elise Van Beneden, évoque aussi la diffamation en général.
« Outil citoyen » destiné à ceux qui tiennent des blogs citoyens où ils défendent les valeurs d’Anticor. En effet, il convient d’être très prudent dans certains de vos articles.
Certains des délits prévus par la loi sur la liberté de la presse de 1881 échappent au monde du journalisme et de l’éditoriat[1], et trouvent aujourd’hui des applications multiples dans l’univers numérique. Comme de nombreux internautes semblent l’oublier, poster des contenus est équivalent à publier. L’acte n’est donc pas sans conséquence et toute personne qui rédige un message qui sera lisible pour un public non « restreint »[2] s’expose à des accusations principalement liées à l’honneur et à la réputation.
Qu’est-ce que la diffamation ? Constitue un acte de diffamation au sens de la loi du 29 juillet 1881 toute affirmation « d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé » et dont la preuve ne peut pas être apportée par son auteur.
Cela signifie que toute publication contenant une affirmation issue d’un fait personnel, une accusation qui porte sur un fait précis peut tomber sous le coup des articles 29 et suivants de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Si les faits ne sont pas précis ou ne peuvent facilement être prouvés, il s’agira non pas de diffamation mais à la rigueur d’injure.
Est par exemple diffamatoire la désignation d’un tiers comme « condamné de droit commun privé ses droits civiques », ou comme ayant « commis une prévarication et une forfaiture », comme ayant « des liens avec la mafia », ou encore comme ayant « accepté, pour sa candidature à la présidence d’un établissement public, la protection et le concours d’une organisation illicite »… [3] En revanche, l’usage du terme nazi, sans aucune imputation d’un fait particulier, constitue une injure et non un acte de diffamation.
La forme dubitative, ironique ou interrogative n’est pas exclusive d’un fait précis, il est donc inutile de déguiser les propos sous des insinuations, de se servir du conditionnel ou d’émettre des doutes :
Par exemple : la question selon laquelle les fonds de la commune aurait permis de financer une campagne peut constituer une diffamation tout comme la forme dubitative « et si le procureur avait obéi à des motifs sans rapport avec le droit ? ». L’affirmation peut aussi être déguisée, par un dessin par exemple, tel est le cas d’un dessin d’un candidat avec des décorations étrangères, afin de faire allusion à son passé de collaborateur.
Il peut y avoir diffamation même si le nom de la personne mise en cause n’est pas cité, à condition que cette personne puisse tout de même être identifiée, par exemple grâce à un pseudonyme[4] ou l’allusion à des faits notoirement connus.
L’article 35 bis de la même loi, assimile à la diffamation une reproduction de textes diffamatoires[5]: on ne peut donc pas se dégager de sa responsabilité en arguant que l’on n’est pas l’auteur du texte ou de l’image. Reproduire des propos diffamatoires revient à diffamer.
La diffamation peut se mêler à une atteinte à la présomption d’innocence (c’est-à-dire au principe selon lequel toute personne doit être présumée innocente jusqu’au prononcé d’une condamnation) consistant par exemple à présenter une personne, comme coupable des faits soumis à une enquête ou à une instruction[6]. De même, la diffamation, si elle porte sur des faits attenants à la sphère personnelle de l’individu, peut porter atteinte à la vie privée de celui-ci (voir la fiche Vie privée à venir).
Comment justifier la diffamation ? Il semble utile d’écarter tout d’abord la question de la bonne foi en matière de diffamation : on ne peut pas se dégager de sa responsabilité en disant que l’on ne voulait pas nuire à la réputation de la personne visée puisque la mauvaise foi dans ce genre d’affaires est présumée. La mauvaise foi n’est en effet pas en soi liée à l’intention de nuire, mais simplement à la conscience de porter atteinte à l’honneur de la personne ou à sa considération. A partir du moment où l’on insinue qu’une personne a eu des comportements répréhensibles, la condition est remplie.
Pour se défendre, il faut prouver que l’auteur disposait d’éléments suffisants pour croire en la vérité des faits, qu’il poursuivait un but légitime, en général un but d’information du public et qu’il a fait preuve de précaution et de mesure (parler uniquement des faits, éviter les dérives injurieuses). La seconde possibilité de défense est bien-sûr d’apporter la preuve de la véracité des informations transmises.
La caractéristique primordiale de la qualification de diffamation réside dans la possibilité de prouver ou non les faits allégués : l’auteur qui peut prouver la véracité des faits bénéficie d’une exonération de responsabilité pénale, cela signifie qu’il n’est plus susceptible d’être condamné au titre de la diffamation.
Cette exonération est prévue à l’article 55 de la même loi. Selon cette disposition, l’auteur doit, dans un délai de 10 jours après qu’il ait été informé de l’action en diffamation, informer le ministère public ou le plaignant des faits dont il entend apporter la preuve, la copie des pièces et les témoignages à l’appui. Il est important que l’affirmation se limite aux faits pouvant être prouvés car les juges apprécient les preuves en fonction de l’ensemble des éléments publiés.
Cependant, la preuve de la vérité ne suffit pas lorsque les faits allégués portent atteinte à la vie privée de la personne : ainsi, on peut affirmer qu’un élu a utilisé des fonds de la commune à des fins personnelles, si on peut le prouver, mais pas donner de détails sur l’usage privé qu’il en a fait, au risque de porter atteinte à son droit au respect de sa vie privée. Par exemple, en plus de dire qu’une personne utilise des fonds publics à des fins privées, préciser au passage que cet argent a servi à acheter à son épouse des cadeaux hors de prix pour le faire pardonner de ses nombreux écarts.
C’est une limite insurmontable dans ce domaine, justifiée par la protection de la vie privée, ce qui n’empêche que la publication et non la production des éléments de preuve en justice.
Depuis une décision du Conseil Constitutionnel du 7 juin 2013, la preuve de la vérité peut être apportée concernant une infraction amnistiée ou prescrite, ou ayant donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision. La même preuve peut être apportée concernant des faits remontant à plus de 10 ans, ce qui n’était pas le cas auparavant.
Quel est le délai de prescription ? La diffamation est une infraction qui se prescrit par 3 mois à compter de la date de la publication[7] : le délai est donc très court et assez protecteur de l’auteur, qui serait sans cela susceptible d’être condamné tant que la publication est en ligne. Une action concernant un écrit publié il y a plus de trois mois ne peut être accueillie par aucun tribunal.
Depuis une loi du 6 août 2012, le délai de prescription de 3 mois a été étendu à 1 an dans certains cas très précis. Il s’agit d’actes de diffamation commis envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
Elise Van Beneden
Présidente d’Anticor
(Outil citoyen mis à jour le 2 septembre 2013)
[1] Pour la diffamation : R621-1 et R624-3 du code pénal sanctionne la diffamation non publique.
[2] Sur la qualification de public restreint, la Cour de cassation a jugé
[3] Respectivement, Crim. 18 janvier 1950, Crim. 22 juillet 1986, TGI Paris, 15 novembre 1989, Crim, 28 novembre 1989, Paris, 1er juin 1995.
[4] TGI Marseille, 28 janvier 1998
[5] Crim, 3 mai 1966
[6] TGI Paris, 23 mars 1994
[7] Conséquence d’une décision du Conseil Constitutionnel du 10 juin 2004
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